But you know
I'm not afraid of taking risks. I'm just sick of them.

I

l n'y avait rien de pire vraiment. Ou du moins, c'est ce qu'elle pensait en ce moment. Levée tôt ce matin, ce qui pour elle, était plutôt une première, elle avait beaucoup de choses dans la tête. Le soleil commençait à se lever, éclaboussant peu à peu d'une lumière orangée les environs. Demain, ce serait l'anniversaire de sa mère. Encore. Il revenait un peu trop souvent à son goût. Mais ce qui l'attristait, c'était qu'elle savait que son père n'oublierait pas. Il allait encore jeûner, et rester seul devant de vieux albums photos à pleurer. Et ça, c'était vraiment pathétique. Quand elle était petite, elle lui demandait toujours pourquoi il ne souriait pas. La raison, d'après lui, était qu'il l'aimait. Alors elle le laissait, voyant qu'elle ne pouvait rien faire et partait "chez des amis", comme il le lui proposait. Mais en vérité, elle montait dans le chêne de leur jardin et le regardait par la fenêtre verser toutes les larmes de son corps. Ce jour est synonyme de tristesse, comme si quelqu'un qui lui était cher était mort, et ce chaque année durant. C'était assez déprimant pour une enfant. Heureusement pour elle, elle n'avait plus à voir souffrir son père cette année, puisqu'elle avait rejoint l'internat de la fac. C'était lâche de sa part, et très égoïste. Mais au moins, elle n'aurait plus à souffrir cette scène pitoyable qui la rendait dingue et la faisait pleurer. Cette fois-ci, elle allait pouvoir passer une journée normale, sans que personne autour d'elle ne fasse une crise de larmes toute la journée, délaissant son travail pour se lamenter sur le passé. mais vous savez ce qui est le plus décevant dans tout ça? C'est que, même à des lieues de son domicile, elle y pensait encore.

Tout ça la hantait, comme un cauchemar éveillé qui ne finirait jamais. Elle angoissait malgré elle à l'approche de cette journée, comme toujours. Quelque part au fond d'elle, elle s'en voulait. Elle n'avait rien pu faire pour rendre son père heureux. Rien. Lui causant ennui sur ennui, voulant qu'il la remarque elle et oublie sa mère, elle n'était jamais parvenue à ses fins, et toujours la même scène se répétait. C'était un cercle vicieux qui n'avait pas de fin. Elle détestait sa mère. Elle rendait son père fou, et commençait sérieusement à lui prendre la tête à elle aussi. Parfois, elle se demandait même si elle n'était pas dingue. Mais en réfléchissant bien, tout ce qu'elle faisait, elle le faisait sciemment, et personne ne l'avait jamais traitée de folle - en dehors des moments où elle risquait sa peau. Non, elle n'était pas folle. Juste pathétiquement faible. Il fallait qu'elle passe au-dessus de tout ça, mais comment le pouvait-elle? Loin de son père, elle se sentait d'autant plus coupable qu'elle l'avait abandonné à son tour, le laissant seul avec son chagrin. Finalement, elle n'était pas mieux que sa génitrice. Elle aussi l'avait abandonné, et ça, elle ne le comprenait que maintenant. Allongée sur le ventre dans l'herbe fraîche, elle caressait l'onde de la petite rivière qui passait par là, ressassant ces pensées amères. Venant s'ajouter à l'eau claire, une larme coula sur la joue de la blonde, achevant sa course dans le liquide cristallin. Une petite tête émergea alors. Un poisson était venu la voir, venant jouer avec ses doigts pour la consoler. Souriant à demi, la jeune fille le remercia mentalement. Finalement, son pouvoir n'était pas aussi nul que ça. C'était la première fois que des poiscailles venaient lui remonter le moral. Mais elle appréciait le geste. Sans prévenir, le petit être écailleux fila alors. Elle avait senti sa peur et devinait que quelqu'un s'était approché. Si le concierge ou un quelconque professeur était là, il se serait annoncé. Ce devait donc être un élève. Soupirant, s'essuyant rapidement la joue, elle se retourna vers le nouvel arrivant et lui lança en maugréant: « Si j’étais toi je dégagerais vite d’ici. »

But you know
I'm not afraid of taking risks. I'm just sick of them.

A

visant du regard la personne qui venait la déranger, elle se rendit compte de son identité avant même de voir son visage. Tournant la tête vers celle-ci, la voix qui lui répondit lui fit tilt. « Bonjour à toi aussi Eva. L’herbe est à tout le monde que je sache ? » ironisa-t-elle. Elisabeth. Mais que diable faisait-elle ici? Elle avait pourtant été discrète quand elle était sortie de la chambre, non? « Oh c'est toi. » dit-elle simplement à demi-mot. Elle ne s'excusait que très rarement, c'était bien connu, mais même si cette réponse pouvait paraître un peu sèche de prime abord, elle voulait plutôt dire désolé, fais comme chez toi. Reprenant sa position initiale, Eva caressait doucement la surface bleutée du doigt, l'esprit occupé. Curieuse, elle se demandait pourquoi son amie - oui elle en avait aussi étonnant que ça puisse paraître - venait méditer à ses côtés de si bon matin. Mais plus elle retournait la question et plus la réponse se dégageait des autres possibilités. Cette réponse-là, elle espérait réellement ne pas l'entendre. D'un autre côté, rester là à faire comme si de rien n'était alors qu'elle devinait les intentions de la blonde, elle ne pouvait pas se le permettre. S'appuyant sur ses coudes, elle rejeta la tête en arrière et fixa intensément ses yeux orage sur le visage de Beth. « T'es là pour lui? » demanda-t-elle tout à trac. Elle avait joué carte sur table, à son tour d'en faire de même.

Tout le monde avait droit à l'erreur, aussi Eva reconnaissait qu'il y avait une chance qu'elle se trompe. Pourtant, au fond d'elle, un pincement au cœur persistait. Elle pensait de plus en plus fort que la jeune fille était venue la trouver pour lui parler de...l'autre. Cet énergumène fier et méprisant du nom de Wyatt. Rien que son nom avait le don de l'énerver. Son rival était...pour ainsi dire assez persistant. Elle pensait qu'il aurait abandonné au bout d'un certain temps, mais son ardeur à vouloir la surpasser et la détrôner de sa place de 'caïd' du lycée était sans limites apparentes, et ça, ça commençait sérieusement à lui foutre les nerfs en pelote. Peu à peu, deux sortes de clans s'étaient formés. D'un côté, Skye et Miguel étaient présidés par Wyatt, et de l'autre, Sloan et Beth avaient rejoint Eva. Elle n'avait jamais demandé à qui que ce soit de prendre son parti. Cela s'était fait comme ça, comme si la confrontation était inévitable. Mais d'un autre côté, peut-être ses amies s'étaient-elles senties forcées de la soutenir? Elle savait qu'Elisabeth n'approuvait probablement pas cette petite gueguerre qu'ils se livraient tous deux, mais même sans l'approuver, elle s'était jointe à son amie. Et si elle en avait marre? Elle savait qu'une liste allait être faite des deux côtés, et que cette liste contiendrait tout un tas de gages à faire. Le premier à terminer la liste aurait gagné, mais à quel prix? Attendant patiemment une réponse, Eva espérait de tout son être que la jeune fille n'llait pas passer dans l'autre camp. C'était stupide, mais rien n'y faisait. La peur était là.